poilus au front 14-18 / 1918 (2)

 

Henri, Gaston et René écrivaient à leur maman, Thérèse, ou leur soeur Claire, mais également à leurs tantes ou oncles. Certaines lettres étaient complétées par la maman ou la soeur et étaient ainsi transmises à d'autres membres de la famille, tous en Algérie. Ces textes figurent en rouge.

La fiancée d'Henri, sa cousine germaine, se nomme Claire Brogat.

Aux Armées le 2 juillet 1918 

Aujourd’hui un peu mieux comme installation, mais pas pour longtemps. Quelle vie ! Vivement que j’en sorte. Voilà 20 jours que nous sommes en ligne sans avoir pu dormir une nuit tranquille, sans cesse alerté, attaquant tous les 4 ou 5 jours. Les boches qui sont devant nous se sauvent comme des fous ou se rendent lâchement. Nous sommes contents sur le moment, nous avançons rapidement sans songer à la fatigue mais lorsque nous arrivons à nos positions présentes, c’est alors que nous nous en ressentons.

As-tu des nouvelles de Gaston.

Bons baisers à tous les meilleurs de

René. 

 

Aux Armées le 4 juillet 1918                       René à Tante Claire épouse Brogat

Chère Tante

Je reçois à l’instant ton mandat et je t’en remercie. Tu m’excuseras si ces jours-ci je n’ai pas écrit plus souvent. Depuis le 13 juin je suis en ligne et presque constamment en première ligne. En ce moment je suis en réserve mais au lieu de recevoir de petits obus, nous recevons les gros. La musique est moins charmante mais le bruit final est beaucoup plus assourdissant.

Il me tarde d’être relevé définitivement pour pouvoir me changer un peu.

Nous avons attaqué ces jours-ci et nous avons fait du bon boulot, avancé de 2 kilomètres, 1500 prisonniers, un matériel considérable.

J’ai eu ces jours-ci des nouvelles de Gaston. Tu as du savoir qu’il avait été blessé et qu’on avait dû lui couper la jambe au dessous du genou, afin de lui sauver la vie.

Pauvre Gaston, je ne voudrais pas être à sa place.

Je te quitte ma chère tante en t’embrassant bien fort et en te chargeant de mille baisers pour toute la famille.

René

Ps – As-tu des nouvelles de Cendro ?

Excuse mon écriture, la corvée de soupe attend que j’aie fini pour partir et emporter ma lettre.

Le 16-8-18

Mes chères petites

Je continue sur la lettre de René reçue hier ainsi que d’autres d’Henri expédiées de suite. Une du filleul que j’envoie. Je lui envoyé les 10jrs hier et j’ai mis sur le mandat-carte lettre suit. Sirroco épouvantable hier et aujourd’hui. Vous avez de la veine d’être partis car je pense qu’au bord de la mer on ne le ressent pas. Amusez vous bien et employez bien votre temps. Cette rechute de Françoise au moment où elle se réjouissait tant de ce séjour à x avec toutes est bien contrariant. Espérons que cela n’aura pas de suite. Vous me donnerez de ses nouvelles  sitôt que vous en aurez. Ici, tout va bien, les 3 vieux font très bon ménage, vous n’en doutez pas, n’est-ce pas ? Et Henriette est-elle sage ? Les petits canards la réclament à grands cris. Il faut qu’elle revienne d’Alger. Nous savons par tante Clo que Pierre est à Marseille c’est tout. Mais aucune nouvelle  du panier expédié vendredi. Que Claire n’oublie pas d’écrire à Tlemcen. Ecrivez aussi à Marraine, on ne lui a pas écrit au sujet de Emile reçu au bac. Gros baisers à tous de notre part et grosses bises à vous de Maman.

 

 

  

 

Aux armées le 9 juillet 1918                                 René

A chère maman,

Je t’ai envoyé une carte hier t’annonçant que j’avais vu Alexandre et même déjeuné avec lui. Il n’a pas été très surpris de me voir arriver puisqu’il savait que notre régiment avait été relevé la veille. Alexandre n’a pas changé du tout (il est vrai que je l’ai vu pour la dernière fois le jour où il repartait de permission). IL est toujours aussi gai et a toujours aussi bon appétit. Pour ma part, l’appétit n’est pas ce qu’il était il y a 3 mois. Je ne sais pas si c’est l’effet des 24 jours passés en ligne, ou bien la joie de revoir Alexandre. Je n’ai pas pu manger. J’ai été obligé de quitter Alexandre si tôt le repas terminé car le soir nous nous déplacions et malheureusement je me suis éloigné d’Alexandre. Nous sommes en ce moment dans un petit patelin pas très loin du front. Les avions viennent y faire des visites presque tous les soirs : aussi les civils ont évacué le patelin depuis pas mal de jours. Cela nous permet de nous installer beaucoup plus commodément dans les maisons abandonnées. Nous nous servons aussi bien de la vaisselle et des tables que des plumards, c’est ce qu’il y a de plus chic surtout lorsque l’on vient de coucher sur la dure.

Notre prétendu repos ne sera sans doute pas de longue durée. La France  en ce moment a besoin d’hommes plus que jamais. Les américains ne feraient pas mal de venir nous remplacer un peu sur notre front et de prendre  pour 1 ou 2 ans la totalité du front français. Je dis 1 ou 2 ans comme je dirais 6 mois, rien ne peut faire supposer la fin de la guerre. Mais tout peut faire croire que nous, ici, ne sommes pas encore au bout. J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles de Gaston. Tu dois savoir qu’il a eu la jambe coupée. La dernière fois que je t’ai parlé je savais déjà qu’il n’avait plus qu’une jambe. Je me suis un peu remonté depuis et je comprends maintenant que Gaston a la vie sauve. Il a une jambe en moins il est vrai mais il a la vie, c’est le principal.  X* Le jour où j’apprenais l’accident de Gaston, j’ai eu mon meilleur camarade du régiment qui a eu le nez et les yeux emportés à côté de moi. Le pauvre malheureux n’est pas mort. Cela serait préférable car quoi de plus triste que de perdre la vue à 29 ans, en pleine vie, pleine jeunesse et surtout rempli de gaité et d’amabilité pour ses camarades comme l’était mon copain.

Nous ne sommes plus que deux au bureau. Nous avons beaucoup de travail mais j’ai tout « plaqué » et je me suis sauvé à la popote pour pouvoir t’écrire plus longuement comme je te l’avais promis dans ma carte d’hier.

Il y a quelques jours que je n’ai pas eu de tes nouvelles. Alexandre m’a dit hier que Riquet avait été fatigué. J’espère qu’il se porte bien maintenant.
Il parait que tante Victorine reçoit des nouvelles d’Alexandre beaucoup plus souvent que tu n’en reçois des miennes. Je ne sais plus comment faire depuis que je suis en ligne, tous les jours ou au maximum tous les deux jours et souvent tous les jours. Une fois au repos une lettre tous les jours n’est pas nécessaire puisqu’il y a des courriers tous les 3 ou 4 jours. Et de plus que veux-tu que je te raconte, les bêtises que nous faisons, des amusements que nous avons (néant).

Alexandre m’a montré le filon pour envoyer des cigarettes. Tu n’as qu’à demander à Tante.

Embrasse bien pour moi Tante. Dis lui que j’ai embrassé son fils pour elle. Bien des choses à la famille Jouve. Baisers à Albert Clairette et Riquet. Les meilleurs de ton fils

René

X* René son régiment avait participé aux attaques du 28 juin. Ils avaient repris des villages et fait des prisonniers. C’est Alex qui en a parlé à Victorine, c’est après le 28 qu’Alex et lui  s’étaient rencontrés. – Voici la lettre reçue le 23 au moment où j’avais sa dépêche  du 21 annonçant qu’il était blessé.

 

 

 

  

 

Aux armées le 13 juillet 1918

Ma chère maman,

Nous avons changé de région. Nous sommes partis le 11 à 6 heures du soir et jusqu’ au lendemain 2 heures  de l’après midi nous nous sommes promenés en auto. Je ne te parle pas longuement de la nuit que nous avons passée, sans cesse secoués dans ces limousines nouveau genre jusqu’au moment où le chauffeur qui s’était sans doute endormi sur son siège nous a culbutés dans le fossé. Drôle de réveil que j’ai eu. J’ai été projeté sur mon camarade vis-à-vis. Heureusement il n’y a pas eu de casse. Enfin après 3 heures d’attente, l’auto a quand même pu se dégager et nous sommes arrivés en même temps que ceux qui étaient partis 4 heures après nous.

Il a fallu chercher le cantonnement des hommes et officiers et je  te prie de croire que, le soir je me suis couché avec plaisir. J’ai dormi 14 heures sans me réveiller. C’est te dire si j’étais fatigué.

Nous voilà donc à 10 km de Provins. Tu pourras voir d’après la carte que nous nous trouvons beaucoup plus près du front. Nous ne tarderons pas à monter en ligne. Notre repos étant fini. C’est chacun son tour à se faire casser la figure.

Le régiment de Buissé n’est plus avec nous. Il nous a quittés hier.

Je t’ai écrit ce mot à la hâte, excuse mon écriture.

Bons baisers à tous

Les meilleurs de ton fils

René

 

 

 

 

 

 

Aux armées, le 14 juillet 1918   reçue le 31 juillet           René

Ma chère maman,

C’est aujourd’hui 14 juillet jour où l’on a l’habitude de faire une prise d’armes et de ‘poiroter » pendant des heures sur un champ de manœuvre.

Eh bien aujourd’hui nous avons continué la coutume française. Le matin nous avons fait une prise d’arme mais une petite et discrète pour remettre quelques croix de guerre aux Régiments.

J’ai été parmi ceux qui ont eu l’honneur de recevoir cette distinction et j’en suis très très heureux. Je t’envoie ma citation.

C’est moi qui ai écrit à la machine à écrire le libellé de ma citation. Tu vois que je commence à savoir me servir d’une machine. Il est vrai que j’ai mis du temps pour le faire. Mais avec du temps et de la pratique on arrive à tout.

J’ai reçu hier une lettre d’Henri, il était en colère parce qu’il n’avait pas de mes nouvelles. J’avais égaré sa carte contenant son adresse et il m’était impossible de lui écrire. Je l’ai fait longuement hier au soir.

J’ai aussi écrit à Gaston une longue lettre. Si j’avais le temps, je lui écrirais tous les jours longuement mais j’ai du travail par-dessus la tête, et je profite de ce jour un peu plus calme pour faire ma correspondance.

Aujourd’hui ta lettre du 1er juillet. Tu ne me donnes pas des nouvelles de Riquet qui était fatigué. Tu me fais des recommandations pour que je ne m’avilisse pas à piller et à détruire ce qui appartient à de pauvres exilés.

Il est permis, maman, de prendre dans un village en première ligne tout ce que l’on y trouve, car tout ce que l’on retire du village est à peu près sauvé du bombardement. Figure toi que la dernière fois que j’étais en ligne, je descends avec mon Lieutenant dans un village extrêmement bombardé. Nous rentrons dans une villa magnifique, après avoir fouillé un peu partout nous découvrons une « chambre noire » magnifique remplie d’appareils photographiques de toutes sortes ainsi que tout le matériel nécessaire à la photo. Nous nous promettons de revenir le soir et d’emporter le plus grand nombre d’objets possible. Nous descendons donc le soir. Malheureusement un obus était, comme un fait exprès, tombé au milieu de cette chambre. Il n’y avait plus un  appareil entier, tout était brisé en mille morceaux. Crois-tu maman que nous n’aurions pas bien fait de tout ramasser le matin, nous aurions sauvé, pour des milliers de francs, des appareils qui auraient encore pu nous servir.  Bref, tu vois que si le pillage est odieux à l’arrière, il est utile en ligne.

J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles de Simone (Brogat) qui me donne des détails sur tous les poilus de la famille. Il faut que je la remercie.

J’ai reçu aussi un colis de cigarettes, seulement j’ignore si c’est le tien ou celui que Bellot m’a envoyé

Bons baisers à tous, grosses caresses à Riquet, son papa et sa maman.

Les meilleurs de ton fils

René

L’envoi d’ici étant très difficile, j’avais prié Bellot d’en envoyer.

 

  

 

 

 

Aux Armées le 5 juillet 1918

Ma chère maman

Toujours en ligne et pas de si tôt au repos. Nous sommes tous éreintés. On ne se rend pas compte de la fatigue des hommes. Fatigue aussi bien morale que physique accompagnée d’un état de surexcitation extraordinaire, l’esprit constamment tendu, l’oreille au guet ne sont pas faits pour reposer les hommes. Enfin il faut patienter toujours, patienter pour attendre la fin de cette maudite guerre.

J’ai reçu il y a quelques jours un  mandat de Tante Lucie, sans aucune nouvelle. Je n’ai pas non plus de nouvelles d’Oran et pourtant chaque fois que je le peux je leur envoie une carte.

Je n’ai toujours pas vu Alexandre.

Je te quitte, maman, en te chargeant de bien des baisers pour tous.

Les meilleurs de ton fils            René

Tu pourras l’enguirlander de ma part, la postière, si elle ne laisse pas passer les colis de cigarettes. C’est vraiment honteux. La prochaine permission il faudra que je lui fasse la cour comme cela elle ne fera aucune difficulté.

Tlemcen 19 /7 ma chère Adèle

J’ai reçu ta lettre du 14. Ci-joint quelques unes des enfants. Gaston s’impatiente de ne pas avoir de lettres, cela se comprend, le 25 juin seulement nous recevions son adresse de Solesmes, nos lettres de ce jour pour peu qu’elles aient attendu quelques jours un départ, lui parviendront à peine après le 10. Je comprends qu’il s’impatiente ; il a x lui, écrire, causer, il a aussi le temps de réfléchir. Je suppose qu’il le fait par une température moins x que celle que je supporte en ce moment, il est 8 h du soir j’écris dans la salle à manger de Vict. Il y a 30°  qq uns de moins qu’à Relizane, mais j’ai bien chaud. Je viens de trier les lettres de mon sac qui  était bourré. Je fais la répartition.. un peu à O.F. puis à mon cousin, les lettres d’OF, à Toi celles-ci. J’ai la tête en feu et je vais me hâter d’aller un peu au balcon en attendant V. elle était sortie avant mon arrivée, elle va revenir en criant … Que…j’ai chaud que … je suis fatiguée …C’est bien fait pour elle et je la dispute sans cesse mais elle reste impossible, elle ne fait que ce qu’elle veut, ce qui en somme est matériel, elle est d’âge à savoir  se contenir ; et si elle veut travailler au lieu de se reposer. Je n’y puis rien. Baisers à tous, à petit Georges pour qu’il soit bien sage – Claire et Riquet étaient sortis à 6h je ne les ai pas vus, elle a eu le courage de quitter son four elle a bien fait elle est allée chez Bellot. Je ne crois pas pourtant qu’elle soit restée chez Tély. Victorine et moi vous embrassons tous bien fort Thérèse

Hôpital auxiliaire n° 105 Salle 6 Dieppe

Le 21 juillet 1918

Ma chère maman,

Je suis dans un hôpital à Dieppe. J’ai été blessé le 19 à 7 heures du soir, au bras droit par une balle. J’ai eu le triceps traversé et tu peux voir d’après  mon écriture que ma blessure ne me fait pas très souffrir. Ne te fais pas de mauvais sang à mon sujet, je n’ai presque rien et je ne resterais sans doute pas que quelques jours à l’hôpital. Tu continueras à m’écrire à l’hôpital. Envoie-moi un mandat télégraphique car j’ai perdu le peu d’argent que j’avais sur moi.

Cette blessure m’a sauvé  d’une passe terrible car nous étions sur une position presque intenable. Maintenant tout va pour le mieux et je me prélasse dans mon plumard toute la journée en attendant de pouvoir me lever.

Je te quitte, maman, en te chargeant de bien des baisers pour tous, les plus affectueux pour ton petit fils.

René

 

 

 

 

Le 22 juillet 1918

Ma chère maman,

Je me porte de mieux en mieux et je ne tarderai pas à sortir. Je ne crois pas pouvoir obtenir de convalescence pour l’Algérie. C’est vraiment dommage et moi qui comptais diminuer un peu le temps que je devais rester sans te revoir. 1 an c’est long pour un poilu. Enfin,  voilà toujours 6 mois de passés, encore 6 mois à attendre ! !

J’ai reçu le mandat télégraphique.

Bons baisers à tous

Les meilleurs de ton fils

René

 

 

 

Dieppe le 23 juillet  1918                                     René

Ma chère maman,

Je ne t’ai donné aucun détail sur ma blessure. Le 19 juillet à 6 heures du soir nous partions à l’attaque des positions ennemies que nous n’avions pu prendre le matin. De nombreuses mitrailleuses boches nous arrosaient copieusement. Nous sortions des tranchées avec l’idée que plusieurs d’entre nous allaient être touchés. Cela n’a pas manqué ! Plusieurs sont tombés dès la sortie. Notre progression continuait quand même, nous avons avancé pendant une heure environ, il nous restait à franchir une route pour atteindre les positions qui nous étaient assignées. C’était l’endroit le mieux gardé. A 10 mètres de la route, les boches ouvrent un feu terrible de mitrailleuse. Nous nous aplatissons le plus que nous pouvons mais les balles rasaient le sol, si bien que mon fusil qui était par terre est traversé par une balle. Quelques minutes après une balle traverse mon casque  sur le côté et vient traverser mon bras. J’attends un instant toujours allongé. Enfin les boches se calment. Je me déséquipe et me sauve vers le poste de secours le plus vite que mes jambes pouvaient courir. J’arrive au poste de secours situé à 2 kilomètres après avoir fait de nombreux plat ventre pour me garer des obus qui tombaient à foison. Là mon premier pansement fut fait. Il me restait encore un passage difficile à traverser pour arriver aux autos. Là enfin, une fois en auto je me suis senti en sécurité. L’auto nous a transportés à 50 kilomètres de là à une vitesse incroyable. Il était environ 3 heures du matin lorsque nous sommes arrivés à une ambulance où nos pansements ont été refaits ainsi qu’une piqure antitétanique. A 9 heures, nous prenions un train sanitaire pour arriver le soir à Dieppe où je me trouve en ce moment.

Je suis très bien dans cet hôpital. Les plumards sont excellents, la nourriture aussi, les infirmières sont charmantes et essaient le plus qu’elles le peuvent de nous faire oublier nos misères passées ; En un mot, je me sens revivre depuis 3 jours.

Hier je suis allé me promener sur la plage de Dieppe, de nombreuses élégantes se baignaient et j’ai eu le plaisir d’admirer les beaux mollets des dieppoises.

Aujourd’hui il fait mauvais et je ne sais pas si je sortirai. Tu as sans doute reçu mon télégramme où je te demandais de l’argent. J’ai pas mal de choses à acheter car je n’ai plus rien de mes affaires.

Je te quitte, maman, embrasse bien  pour moi Albert, Claire et Riquet. Bons baisers chez tante et chez Mr Jouve. Les meilleurs baisers de ton fils

René

Le 26/7/18

Ma chérie,

J’ai devant les yeux 4 longues lettres de toi reçues hier du 15 au 18 juillet. Je suis très content de te savoir au milieu de ces personnes si gentilles pour toi, et je me demande qu’une seule chose c’est que tu t’amuses le plus possible.

Les bains ne peuvent que te faire le plus grand bien, car en dehors de la distraction elle-même, s’ils sont pris modérément, (et j’espère que tu ne t’attardes pas trop dans l’eau) ils te feront maigrir un peu mais t’assoupliront beaucoup, surtout si tu arrives à savoir nager.

Oui, je regrette beaucoup de ne pouvoir te donner des leçons de natation. Mais je ne sais si tu aurais fait beaucoup de progrès, car je crois que j’aurai plutôt passé mon temps à t’embrasser qu’à te faire nager… Pouvoir te serrer dans mes  bras est  mon plus cher et plus grand désir, car je t’aime ma chérie toujours plus, et je souffre du désir de toi, je souffre de ne pouvoir prendre tes lèvres, baisers tes yeux aimés, t’avoir à moi… ! Et dire qu’il faut que j’attende peut être encore de longs mois !

Merci pour nénette et Rintintin, ils sont tous les deux mignons comme tout ; ils dorment en ce moment, bien tranquillement au fond de ma poche, et je n’ose les déranger car ils doivent surement s’aimer comme deux fous. Ils ont, dans cette même poche, comme voisin de nuit, ta petite montre ; tu es bien gentille ma chérie d’avoir pensé ainsi à moi, et cette montre me sera d’autant plus précieuses qu’elle vient de toi, qu’elle a longtemps été portée contre ta poitrine, quand tu étais une petite jeune fille innocente que j’aimais déjà de tout mon moi.

Je n’ai eu le temps de t’écrire hier et pour pouvoir le faire aujourd’hui, je suis obligé de me lever de bonne heure. Ma journée sera encore bien occupé et jusqu’au 1er aout prochain je ne chômerai pas beaucoup.

Nous sommes au grand repos après avoir supporté 6 journées de durs combats. La route de Château-Thierry à Soisson fut plusieurs fois prise et reperdue par nous au cours de ces pénibles journées. Naturellement beaucoup de pertes chez nous, mais une proportion de blessés phénoménales qui rassure un peu ceux qui restent.

Pour récompenser tous ces combattants de leur effort merveilleux, on nous met au repos dans un affreux patelin de l’Oise ; les hommes parqués dans toutes les granges couchent sur une maigre épaisseur de paille ; cela ne leur donne guère envie de recommencer à se faire abimer la figure, pour tout un tas de gens qui se foutent de lui.

Nos chefs directs, ceux qui prennent part directement à l’attaque avec les poilus souffrent de cet état de chose et se démènent pour essayer d’obtenir mieux, mais il faut, avant nous, que les automobilistes soient logés, qu’ils aient leur popote, leur chambre à coucher etc …

Notre commandant, un très craint et très chic type, était dans une colère effrayante hier, à notre descente d’auto quand il eut vu le cantonnement. Je t’assure que l’officier chargé du cantonnement a pris quelque chose pour son rhume.
Je suis avec beaucoup d’intérêt l‘histoire de ta blonde enfant et de ton bon géant ; il me tarde d’en connaître la fin, de savoir s’ils s’aiment bien et surtout s’ils s’aimèrent longtemps…

J’envoie cette lettre à Tlemcen, à l’adresse de Tata Victorine, car je n’ai pas l’adresse exacte de maman. Embrasse-la bien pour moi ma chère maman, et dis lui  qu’elle ne se fasse pas trop de bile.

J’embrasse ta bouche de tout moi

Ton Henry

  

 

 

Le 26 juillet 1918

Ma chère maman

J’ai eu de tes nouvelles un peu indirectement puisque tu as télégraphié à l’hôpital pour avoir des nouvelles. Je parie que tu t’es encore fait du mauvais sang. Et tu dois le savoir maintenant, bien inutilement, car je t’assure que lorsque j’ai été blessé j’étais plus heureux que ceux qui étaient obligés de rester en lignes.

J’ai reçu ton mandat télégraphique. Merci maman.

J’ai totalement oublié l’adresse d’Henri et de Gaston. Pourrais-tu me l’envoyer. Bons baisers à tous, les meilleurs de ton fils

René

 

  

Le 2 novembre 1918

Ma chère maman,

Vers le 8 ou 9 novembre je sortirai de l’hôpital, et comme je te l’ai laissé entendre j’aurais fort probablement 10 j de convalescence que j’irai passer auprès de Gaston. Je lui ai déjà dit qu’il tâche de me trouver un chambre meublée pour mes dix jours, cela me reviendra moins cher que dans un hôtel.
Je tacherai ensuite pour la question nourriture de manger de temps en temps à l’hôpital. Je réduirai le plus possible mes frais divers, et ainsi j’arriverai à passer 10j agréablement et économiquement.

Tu dois t’imaginer ce qui me fait tant souhaiter une convalescence. Ce sera 10 jours de pris et sur l’hiver et sur les fatigues ; comme la paix n’est peut-être pas bien loin, c’est certainement ma vie d’assurée, ce qui n’est pas désagréable pour une fois quand depuis 4 ans et quelques mois on a été continuellement exposé.

J’ai reçu hier une lettre de René parti en renfort au régiment, mais qui n’avait pas encore trouvé son corps. Hier, on nous a annoncé de bonnes nouvelles ; armistice signée avec l’Autriche, démission de Guillaume et troupes allemandes retirées du front. Nous attendons les journaux qui nous confirmeront ces nouvelles avec beaucoup d’impatience.

J’espère que tante a toujours de bonnes nouvelles d’Alexandre, et que tout le monde se porte bien.

Bons baisers à tous les plus affectueux de ton fils

Henry

 

 VERS 1919 et 1975